Maroc, de Fès à Chefchaouen par le Rif et la mer
Le trajet Fès - Chefchaouen, en trace directe, représente 212 km et des dénivelés très raisonnables. Mais voilà, comme d’habitude, c’eût été trop simple, j’en ai fait exactement 502 et plus de 6000 m de d+. D’abord, j’ai du temps encore et ensuite, il y a des choses à voir.. ou à sentir. Bref, j’ai commencé par tirer à l’Ouest, direction Moulay Idriss, pour y voir un vieil aqueduc et plus loin, un site romain ma foi assez important : Volubilis, construit sur une ancienne capitale… mauritanienne. Mosaïques, colonnes torsadées, arc de triomphe, chapiteaux travaillés de colonnes, ancienne basilique. Plus tard, les pierres du site ont été utilisées pour construire Meknes. Aucune explication sur place, c'est dommage ! Le site est vaste, au milieu de terres cultivées, beaucoup d’oliviers entre autres. En cette saison, la terre est labourée mais on n’y voit rien de plus. Le paysage est donc terne, morne et monotone, assez vallonné pour mettre les jambes en vrac. De temps en temps, j'aperçois au loin ce qu'il reste d'eau dans les retenues des nombreux barrages. Cela fait longtemps qu’il n’a pas plu, l’atmosphère est poussiéreuse, pas de lumière. Le lendemain fut du même acabit, je reste à basse altitude. Je trouve un joli coin pour bivouaquer, discrète mais perchée, et j’entends tout autour des gens qui secouent les oliviers avec de grandes perches pour faire tomber les fruits dans les bâches en dessous.
Le jour suivant est toujours nuageux, c’est aussi bien, j’ai moins chaud, il fait tout de même entre 25 et 30 degrés. Sur les axes routiers rectilignes et larges, ils roulent fort et ne sont visiblement pas éduqués à s'écarter de trop alors j’applique la tactique qui va bien. Une voiture arrive, je la vois dans mon rétroviseur, si elle se déporte déjà, je ne bouge pas, sinon, je fais un gros écart, ce qui l’oblige à réagir, puis me rabats, la voiture passe ainsi au large. Ça demande de l’attention mais la circulation est éparse et c’est terriblement efficace.
J’approche Taounate, et par la même occasion, le Rif. C’est une chaîne montagneuse qui culmine à plus de 2000 m, réputée pour le canabis qui y pousse comme du chiendent. Taounate, 400 m de d+ à 10% pour y parvenir, la ville, puis 400 m de d- à 10% pour en sortir, passer un pont et rattaquer à monter, pour de bon. En bord de route, il y a des maisons tout le long, pas d’arbres, pas de plantations d’oliviers, je n’avance pas vite et mets un temps fou pour trouver un endroit adéquat pour poser mon bivouac. Le Rif est très escarpé, les routes sont la plupart du temps en crête ou à flanc de raide montagne, ce qui ne simplifie pas les choses. C’est vert, et il y a un peu d’eau dans les rivières. J’avance, cumulant chaque jour des dénivelés qui commencent à m’user physiquement. Constamment trempée de sueur, donc de sel, des irritations qui virent gentiment aux plaies me font terriblement souffrir sur la selle. Les nuits étant fraîches et humides, je renfile short et t-shirt mouillés chaque jour. Pas d’hébergement dans les bleds que je traverse. Le moral tient parce que la fin est proche… Le Rif, je ne m’arrête pas quand une bagnole garée me fait signe, c’est pour me demander si je veux de l’herbe ou de la résine. Ça sent partout, dans la nature, dans les villages. L’herbe sèche au soleil autour des maisons, les ânes en transportent sur leur dos, les gamins font la récolte et de quasi toutes les maisons j’entends le même son d’une action mécanique, probablement destinée à extraire la résine. Et beaucoup fument la sebsi, l'équivalent du shilom en plus long mais également destinée à fumer du haschisch. Il paraît que maintenant, toute cette industrie est seulement à but médicinal… Ça me fait bien rire. Je m’arrête casser la croûte à Issaguen, 1500 m, ici appelée Ketama, capitale du canabis. Le restaurateur me dit que toute la population du secteur vit du canabis, d’ailleurs de manière tout à fait automatique, il crame sa boulette de résine. Il me propose l’hospitalité, chez lui, dans sa famille, après m’avoir demandé très cher pour ce que j’ai consommé. Tu penses bien que je ne vais pas aller prendre le risque de me fourrer dans un guêpier. J’ai lavé short et t-shirt aux toilettes, ai rechargé mon tél et mes bidons, et me suis cassée. Ce soir-là aussi, après être passée à 1700 m, j’ai dû beaucoup avancer avant de trouver un coin discret et me retrouver à dormir à 1300 m, humidité et froid garantis mais je distingue le bleu de la mer… là-bas, tout en bas.
Car la voilà enfin, j’y parviens à Jebha et suis d’abord surprise, en bien, du peu de circulation. Mais alors pour ce qui est des jambes, ce n’est pas là encore que ça va pouvoir mouliner tranquille. Des hauts et des bas meurtriers, j’oscille entre 0 et 300 m d’altitude. Ça monte, raide, puis ça descend, raide aussi, un pont ou une baie et ça recommence. Je passe de debout sur les pédales à crispée sur les freins. La route est là aussi toujours à flanc de coteau bien pentu, ce qui offre de très jolies vues sur le littoral. Il y a des plages, grandes, désertes, le plus souvent noires. Des petits postes de police jalonnent la route, visibles de l’un à l’autre. La surveillance du littoral est impressionnante, ce qui est pratique pour demander de l'eau mais ne fait pas mes affaires pour le bivouac. Ils sont toujours opposés au fait de dormir sous la tente loin des villages. Mais j’y parviendrai après 1 h 30 de route à examiner à droite et à gauche, essayer, rebrousser, repartir…Étape trop longue encore. Cela fait 2 jours que j’enroule un t-shirt sur ma selle pour pouvoir y poser mon derrière, ça reste douloureux mais ça me permet d’avancer. Non, ce n’est pas du masochisme.
Après cet intermède méditerranéen, je bifurque à l’intérieur des terres à Oued Laou pour me rendre à Chefchaouen, la perle bleue. Pour ça, je coupe dans le magnifique parc national de Talassemtane qui mériterait quelques jours de rando, et y laisse encore des calories et beaucoup de sel dans le maillot. Mais ça vaut la peine et au final, je suis contente d’avoir choisi cet itinéraire. Grosses bosses raides, gorges profondes, jolies montagnes escarpées et vertes. Dans une descente pleine balle, je me fais piquer par une guêpe/abeille/frelon que sais-je, à l'encolure sous la gorge, c'est douloureux, et ça gonfle bien, j’avais encore bien besoin de ça… À l’heure où j’écris, l’hématome énorme couvre tout mon poitrail et me démange en permanence malgré la pommade à la cortisone que j’applique régulièrement.
Plus loin, la pente infernale de la montée finale sur Chefchaouen combinée à un vent de face diabolique m’obligent à mettre pied à terre et pousser le vélo sur 2 km avant de retrouver des choses raisonnables et de finir tranquillou. Comme d’habitude, à l’entrée de la ville, je demande à un passant pour un hôtel pas cher. Peu de temps après, je suis installée dans une petite chambre sommaire à bas prix, sans drap, douche bien chaude sur le palier, le tout à 500 mètres de l’entrée de la médina. Le lendemain étant annoncé maussade voire pluvieux, je profite de la fin d’après-midi ensoleillée pour déjà arpenter les rues en pente de la ville bleue qui est une belle récompense à tous les efforts fournis.
Je me retrouve en effet projetée dans un autre monde. Outre que je retrouve les troupeaux essoufflés emmenés par un guide brandissant un petit fanion, des couleurs éclatantes partout mettent mon cœur en joie. Ça vaut la peine d’être montée jusque là ! Je me réjouis de gravir (non sans douleur) les ruelles, les venelles, les impasses, les escaliers, à la recherche des plus beaux camaïeux, des plus belles nuances, des détails, du rayon de soleil, des portes… Bonheur. 50 nuances de bleu, de celui qui rappelle celui de la glace, à l’autre, pastel, en passant par le bleu roi, le turquoise, l’acier, l’azur et l’azurin, le céruléen, le céleste, le maya, le bleu ciel et dragée, mais aussi décrépi, écaillé, sale ou flambant neuf. Et des chats partout, et des chiens aussi d’ailleurs, dont certains ont leur niche, bleue… Les étalages de toutes les minuscules boutiques, les pots de fleurs, les détails de décoration aux couleurs éclatantes, ressortent sur ce fond bleu. L’appareil photo a chauffé sévère ! L’ivresse des pupilles. Alors pourquoi Chefchaouen est-elle bleue ? Wikipedia nous dit que dans les années 1930, une importante population de réfugiés juifs est arrivée dans la ville, fuyant les persécutions nazies et la menace croissante de la guerre. Le bleu est censé représenter la paix, la sécurité et la puissance du ciel…
Ce matin, bien sûr, j’y suis retournée avant que les rues ne se remplissent. Le ciel couvert s’est dégagé juste au moment où je parvenais au point de vue panoramique sur la ville. Magnifique. J’ai trop de chance ! Et puis l’opportunité de faire des images sans ombre disgracieuse dans les rues étroites est également une chance. La pluie s’est invitée vers midi, puis a cessé, ma lessive va peut-être finir par sécher... Certains hommes proposent bien timidement un peu de haschisch mais ils ne sont vraiment pas insistants et encore une fois je me suis sentie très à l’aise à déambuler seule dans ce petit joyau. Alors qu’on ne s’y méprenne pas, le travail n’est pas toujours fin, mais c’est justement ce côté tout à fait approximatif qui fait le charme de l’endroit.
Comme vous pouvez le lire, cette semaine fût éprouvante physiquement mais je suis néanmoins contente d’avoir fait tous ces détours. C’était les derniers, il n’y en aura plus. Je vais demander encore à mon corps fourbu et courbatu de m’emmener jusqu’à Tetouan, puis à l’embarcadère, j’ai 4 jours pour le faire. Je ne devrais plus guère avoir de bivouacs, ça sent sérieusement l’écurie…
À la prochaine, depuis ma casa !
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Maroc, de la neige à la ville
Au réveil après la journée d’intempéries qui s’est soldée par 10 cm de neige à 1600 m et 25 cm à 2100 m, le soleil se pointe à travers les brumes dans un ciel majoritairement bleu. La route est dégagée, pas de gué dangereux sur ma route. Cette eau là n’est pas violente et prend le temps d’imbiber et pénétrer les terrains. Les habitants sont contents. La dernière neige, c’était en 2018. Je pourrais partir pédaler mais je décide de rester regarder les gosses jouer, les adultes déneiger leur toit de terre, écouter l’eau dégouliner, assister à la métamorphose du paysage, en sens inverse, de prendre des photos et discuter avec les habitants. À la fin de la journée, tout a fondu à 1600 m, la limite se situe un chouillas plus haut, vers 1700 m. J’ai aussi profité de cette journée pour tracer la suite et fin de mon parcours marocain, sous réserve de modifications évidemment, et pour étudier sérieusement les différentes options pour mon retour en Europe. Le représentant de l’autorité du village, fervent croyant, a bien tenté de me convertir et également de me trouver un mari, la discussion est restée ouverte un moment. Quand c’est devenu un peu lourdingue pour moi, je me suis esquivée et ai parlé longuement avec le technicien topographe qui m’a montré ses plans, son travail, et ensuite avec le responsable des actions médicales, médecin détaché, qui vit dans l’hôtel où je suis. Les soins… c’est un gros problème dans ces patelins isolés alors il y a des permanences, le reste se fait à distance en visio avec des spécialistes de Casablanca ou Rabat. Je constate que beaucoup ont mal aux dents. La pharmacie la plus proche est à 35 km, mais la chaîne humaine fonctionne à merveille quand il faut rapatrier des médocs. Je pense aussi qu’en deux jours et demi, j’ai mangé dans tous les cafés qui bordent la route, pour ne pas faire de jaloux. Les employés de l’hôtel ont pris l’habitude de me convier à leur petit-déjeuner et au thé de l’aprem, forcément accompagné de pain, d’huile d’olives et de miel. Une autre particularité du village est son muezzin. Cinq appels à la prière par jour, ok, mais celui-ci donne tout ce qu'il a dans le ventre à la première, à 6 heures du matin. Il fait d’interminables vocalises, ne chante pas mal il faut avouer, et je pense qu’il a loupé sa vocation dans le show-biz. Les autres appels de la journée durent à peine 30 secondes. C’est moins marrant, on est déjà réveillés…
J’ai quitté Issakane avec les massifs enneigés dans le rétroviseur, la limite de la neige se situant à peine 100 m au dessus du village. Deux jours de montagnes russes au profil tout de même descendant et un joli bivouac plus tard, et me voici à Khenifra. Un autre Maroc encore. Des bagnoles en état, des gens plus élégants, “mieux” habillés, moins d’hommes en djellabas. Bref, une société beaucoup plus riche, moins traditionnelle où Arabes et Berbères se mêlent. Je visite la petite vieille ville et y fais mes achats de nourriture pour la suite. J'ai retrouvé des températures agréables même si le fond de l’air est frais. Descendue à 800 m, je remonte cependant dès la sortie de la ville le lendemain pour aller passer 3 jours dans les parcs nationaux de Khenifra et Ifrane. Je passe par les sources de Oum Rabia, énorme résurgence au milieu des 1000 cahutes en paille où chacun propose son tadjine. Naviguant entre 1500 et 2000 m, au milieu de cèdres majestueux où les hordes de macaques font un raffut d’enfer, je me caille bien. Pas un village, seulement des campements très, très sommaires, il faut dire que j’ai vraiment choisi les petites routes dont le macadam est parfois méga déchiré, et c’est bien pire que de la piste pour mon derrière déjà endolori ! Mais comment font ces gens pour passer l’hiver sous leurs bâches ? Car leur habitat n’est rien de plus que quelques perches de bois et des bâches en plastique, le tout ficelé tant bien que mal pour éviter que le tout ne s’envole… mais tous les bergers lèvent le bras sur mon passage. Tous les lacs sur mon itinéraire sont soit asséchés complet soit bien pauvres en eau. Certaines infrastructures touristiques développées autour vont finir en ruines… La première nuit, un groupe de macaques a fait le boxon autour et au dessus de ma tente, à jouer, se courir après ou se battre, à crier, bien sûr à faire les cons dans les branches juste au dessus, mais ont toujours respecté une distance avec moi, autrement dit, ne se sont jamais montrés menaçants. Le second soir, j’ai planté ma tente rapidos en voyant la couleur du ciel évoluer très vite, elle est passée du bleu, au gris, au noir, au jaune puis au rouge. C’était incroyable. Je n’ai pas pris une goutte mais c’est tombé pas bien loin… Ces immenses forêts de cèdres m’ont fait du bien, et je réalise une fois de plus l’importance des arbres, ils m’apaisent, et je suis définitivement bien quand je peux bivouaquer au milieu d’eux. J’ai fini par redescendre de ces endroits trop froids pour retrouver des températures agréables à Sefrou, à 800 m d'altitude et 30 km au sud de Fès, j’ai bivouaqué à la sortie de la ville dans les oliviers.
Fès. J’y arrive après 30 km de 2x2 voies sans trafic, très agréable, et trouve rapidement une chambre très basique dans un hôtel tout aussi basique vers le palais royal dans l’ancien quartier juif. C’est qu’avec le vélo, m’aventurer dans la médina ne me paraît pas judicieux… Je peux partir visiter. La vieille ville est totalement ceinte de murailles et on rentre à l'intérieur par l’une des 14 portes. Très vite une fois passée la “porte bleue”, je me perds, et me sens limite oppressée. L’étroitesse des ruelles, ce labyrinthe de malade qui en arrive à me faire totalement perdre le nord, ces souks impressionnants, ces escaliers. Je passe de la foule à des endroits déserts, des endroits couverts à ceux où je revois enfin le ciel. C’est monstrueux. Je finis par être dans le quartier des tanneries, alors je suis un gros groupe, le guide sait où il va et c’est comme ça que je parviens sur les terrasses au dessus des bacs de teinture et dans les boutiques de cuir. À l’entrée de chaque terrasse, une personne donne à chacun une petite branche de menthe pour contrer l’odeur de l’ammoniac qui nous attend… Peut-être en été quand il fait chaud est-ce justifié mais là, j’ai trouvé que c’était du folklore. Bref, on monte des escaliers étroits et tortueux, on passe par la boutique immense pour parvenir aux terrasses d’où la vue est sidérante. Sidérante sur la misère humaine, sidérante sur les conditions de travail. Immédiatement j’ai pensé à Zola, l'assommoir. Des types travaillent dans la chaux (pour nettoyer), puis jusqu’aux cuisses et bras découverts dans des bacs où le mélange est constitué de fiente de pigeon (ammoniac naturel), et de teinte naturelle. L’odeur d’ammoniac, ils l’ont tous les jours, n’ont aucune protection, ni sur la peau ni sur le nez. Le Moyen-Âge, ou les premières pages du livre de Suskind, le Parfum... Des gens comme des bêtes, qui portent des charges, en haillons, édentés et pas épais… Et puis les autres gens aux terrasses, les touristes dont j’entends les commentaires, “ça pue, j’espère qu’il ne va pas parler trop longtemps” à propos de leur guide en train d’expliquer, ou qui se plaignent des trois étages à monter pour les terrasses, ou parce qu’il n’y a rien pour s’assoir, des gens qui n’ont pas l’air de se rendre compte que ce qui bouge là en bas, ce sont pire que des animaux dans un zoo, des humains dans une fosse malodorante avec des produits corrosifs, à l’espérance de vie réduite sous l’oeil de centaines d’objectifs. Les boutiques sont magnifiques. Oui, j’y suis allée, oui, j’ai fait des photos, oui, c’est une sorte de voyeurisme, du témoignage aussi, du patrimoine… Bref, cette visite restera dans ma mémoire.
Le lendemain matin, j’ai commencé par changer d’hôtel car la nuit fut bruyante très tard, l’animation de la rue... Dommage, pour le reste c'était top. Alors je n’ai pas été très loin, j'avais repéré la veille, ni trouvé au même tarif, suis passée de 5,5 à 10 euros (!), mais les deux fenêtres de ma chambre plus spacieuse et avec lavabo donnent sur le jardin public de 7 hectares. Petit déjeuner dans le souk, des bouis-bouis de 2 m2, tu manges sur une mini-table avec les autres clients, le cul sur un tabouret en plastique dans la venelle, il y a toujours quelqu’un pour faire la conversation et donner des bons conseils ou des explications. J'apprends par exemple que le jour où je prends le ferry pour rentrer, le 18 novembre, est jour de fête nationale… ou que le système d’adduction en eau de la médina date du XI ème Siècle.
Second jour donc. J’avais préparé un peu le truc avec des points d’intérêt et un semblant d’itinéraire. Ah la belle utopie ! La médina de Fès est je crois le seul endroit au monde où la géolocalisation ne fonctionne pas. On est à moitié sous terre en partie, les ruelles sont hyper étroites, il faut parfois se mettre de profil pour se croiser, les murs sont souvent hauts, le signal des satellites ne nous atteint pas. Retour à la bonne vieille méthode qui fonctionne si bien : demander son chemin aux locaux. Et c’est comme ça que le thé m’a été offert deux fois, que je me suis retrouvée sur des terrasses dominant des toitures vertes, ou dans des ateliers de céramique, d’huile d’argan, de menuiserie, d’orfèvres, de tisserands, de teinturiers, de henné et mille autres choses, textiles, robes de mariées, cuir, et aussi bibelots made in China. J'ai visité une medresa pour l’architecture (école coranique), où l'on m'a expliqué que les trois “piliers” de l'art arabe sont la calligraphie, la géométrie et l'art floral. Ils y excellent, la finesse du travail laisse bouche bée. J'aurais pu être à Ispahan, à Boukhara, à Samarcande. L'artisanat n'est pas un vain mot, ils sont parfois plusieurs artistes sur une même pièce, qui n'est qu'un seul morceau d'une oeuvre plus grande, à jouer du ciseau à bois ou du petit maillet pour marteler le cuivre. J'ai résisté en traversant le quartier des mignardises, du nougat, des pâtisseries élaborées qui ne représentent chacune qu'une bouchée d’une grande finesse. Beaucoup d'arts sont représentés, par quartiers…Tu veux acheter une poule pour le repas ? Les cages sont là, les volailles à l'intérieur, le marchand en chope une, un coup de couteau lui tranche la gorge, la viande est on ne peut plus fraîche. Essayant de me diriger seule, je me suis fourvoyée dans des innombrables impasses, si on y croise des gens, ils préviennent avec bienveillance “no way”, “closed”, “fermé”, “seulement maisons”. Personne ne m’a demandé un seul dirham pour avoir préféré m’accompagner que se perdre en explications dans ce méga labyrinthe. La médina est coupée en deux par ce qu’il reste de la rivière Fès, un filet d'eau nauséabond qui coule entre des berges rénovées dans un style très détonnant. De l’autre côté c’est le quartier andalou, plus aéré. Pour habiter dans la médina, il faut y être né, être habitué à ne jamais voir le ciel. Certaines ruelles sont très calmes, d’autres surbondées, et encore, c’est saison basse. J’ai entendu un guide dire qu’il avait grandi dans la médina avant d’aller habiter dans la ville nouvelle, expliquer qu’il ne pourrait pas revenir vivre ici, car il a vu le ciel… Certaines rues sont protégées du soleil par un treillis en bois. La médina est en pente et cependant, j’ai abandonné rapidement le fait de chercher à m’orienter, ne me fiant qu’aux indications des gens et ce fût bonheur. Je suis montée aux tombeaux mérinides, (ce sont des tombes monumentales qui dominent la vieille ville, nécropole royale de la dynastie des Marinides qui a régné sur le Maroc du XIII au XV ème Siècle) pour avoir une vue panoramique sur la médina. Le soir, je suis retournée manger dans le même boui-boui que le matin, y ai retrouvé le même client qui attend que sa fille de 8 ans sorte de l’école (il est 18 h 30), on discute un peu plus. Mes boulettes de pomme de terre panées, mes oeufs et le thé à la menthe me coûtent un euro en tout, sourire en prime. En rentrant à l'hôtel, un commerçant de la rue qui me reconnaît (parce que j'ai dit bonjour à tout le monde en passant ce matin me dit-il) m’invite à entrer par une petite porte dans un couloir qui débouche sur des joyaux encore, des jardins entre des murs, les arrière arrière arrière cours à l’abri du bruit, de la chaleur, des regards… Un labyrinthe dans le labyrinthe. Il faudrait avoir une vue du ciel à faible altitude pour se rendre compte de la complexité du truc. Cela veut dire que de l’autre côté du mur qui fait face à l[ porte de mon hôtel, ça doit être le jardin que ce commerçant m’a montré… ou pas ! Arrivée à l’hôtel, Mohammed le proprio berbère mange avec des amis, et je suis conviée encore à me joindre à eux, je me contente de boire le thé, je remercie dans sa langue, l’amazigh, il m’annonce alors une remise demain sur le prix de ma chambre, déjà bien négocié !!!
Troisième jour, destiné à me reposer avant de reprendre la route, parce que arpenter la médina n’est pas de tout repos. Je n’ai pas pu m’empêcher d’y retourner y faire quelques photos avant que les échoppes n’ouvrent, et aujourd'hui c’est la marche verte. C’est la commémoration de la marche pacifique lancée le 6 novembre 1975 par le roi Hassan 2 vers le Sahara occidental dans le but de le récupérer, car considéré faisant historiquement partie du Sahara marocain, elle mobilisa environ 350 000 volontaires civils marocains. Aujourd'hui à Fès et partout dans le pays, des milliers de gamins habillés principalement en vert ou en rouge, les couleurs du Maroc, défilent gaiement en musique, le tout dans une ambiance festive très bon enfant.
Il y aurait tant à dire et à montrer sur Fès... Beaucoup, beaucoup de nouvelles photos dans la galerie. Mon séjour dans la grande ville s’achève et la fin du voyage commence à arriver dans ma tête même s’il reste de belles choses à découvrir sur ma route.
Je précise qu’aucune photo du blog ou de la galerie n’a subi de retouche, parfois seulement j’ajuste la luminosité au moment de la prise de vue. Ciao bises.
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Maroc, du désert à la neige en 3 jours
À Goulmima et de manière générale, les jardins sont le travail des femmes, à l'année, à plein temps, chaque jour. Les hommes viennent en renfort pour des tâches particulières, travail de force ou récoltes. En partant de chez Martine, je sais d’ores et déjà que je n’ai que trois jours devant moi pour traverser l’Atlas. En effet, après les grosses précipitations sur les hauts plateaux du massif ces 2 derniers jours pendant que je suais sous le soleil du désert, ce sont maintenant du froid et de la neige qui sont annoncés sur l’Atlas. Jusqu’à 10 cm là où je dois passer, avec un vent modéré et évidemment des températures négatives. Je fais le choix de passer avant, je sais que sauf imprévu, c’est largement jouable.
De Goulmima, je monte par des gorges encaissées ou de plus larges vallées jusqu’à attraper les hauts plateaux vers Aït Hani, à déjà plus de 2000 m. Là où les oueds chargés des pluies des derniers jours traversent la route, les Marocains s’arrêtent laver leur bagnole ou leur mobylette et je passe les gués avec élan et les pieds en l’air pour ne pas mouiller les chaussures. À Assoul, on m’offre le thé, on se soucie de mon état de fatigue, on me demande si j’ai une tente au cas où je serais fatiguée avant d'atteindre la prochaine ville (je n'annonce jamais l'intention de bivouaquer), on me divulgue recommandations et conseils. Les gendarmes ne prennent pas la peine de me demander mon passeport, comme souvent ces temps-ci. Je fais un premier bivouac planquée de la route derrière une bergerie abandonnée après Assoul. Je pensais être tranquille mais à la tombée de la nuit, tous les bergers berbères du secteur passent par là en rentrant avec leurs chèvres à leur tente noire, leur campement. Tous bien sympas même s'il est difficile de communiquer, l'un d'entre eux s'est intéressé à mon réchaud essence, qui était à ce moment-là en fonctionnement et nous avons regardé au fond du puits d’au moins 25 mètres, avec dépit. Pas besoin de parole pour se comprendre, pas d'eau.
Le lendemain, à Aït Hani, commence la réelle montée vers le plus haut col à passer, à 2645 m. Je suis partie avec le sous-pull manches longues en mérinos et ne l’ai pas quitté de la journée, y ajoutant parfois le coupe-vent. Au terme de cette belle montée durant laquelle les employés de la voirie échelonnés sur la route me proposent thé, pommes, biscuits et m’encouragent, je découvre des plateaux plus hauts encore, le froid et le vent piquent un peu les joues et les doigts, je mets les gants. Pas trace humaine avant Agoudal, où j’aurais pu m’arrêter, l’endroit est très beau et il y a des auberges à profusion. Un coup d'œil aux prévisions météo me pousse plus loin et je m’arrête finalement bivouaquer quand le vent de face devenu plus fort a raison de ma motivation. Une fois de plus je pense être discrète et tranquille, mais une fois de plus je suis débusquée à plusieurs reprises. Mon souci n’est pas par rapport à la population ou aux bergers qui sont discrets et bienveillants mais je crains parfois que mes bivouacs ne soient pas du goût des gendarmes… alors si quelqu'un les met au courant de ma présence… Personne ne viendra cependant et je dors bien emmitouflée dans mon duvet.
Température au matin : 3 degrés, et un petit vent froid par dessus qui fait un ressenti négatif. Gants, buff, jambes longues pour la première fois, chaussettes chaudes… Imilchil est vite atteint, je recroise ma trace d’il y a un mois et repasse même dessus pour 25 km, les épiciers me reconnaissent, j’ai mes repères. Le dernier col à 2310 m est gravi, je me laisse descendre et alors que le ciel se charge un peu, que la vallée s’ouvre et que le vent de face se renforce, je retrouve des arbres. Il semble que la population très dispersée s'affaire plus que d'ordinaire, il y a de la précipitation, une légère bousculade dans le rythme de vie, ce qui pour moi, confirme l'arrivée du mauvais temps et des températures négatives. Les troupeaux descendent de partout, les femmes chargées de fardeaux de bois mort trottinent presque, les enfants en vacances scolaires jusqu’au 12 novembre ramassent dare-dare les pommes et j’en vois des dizaines de seaux sur le bord de la route, à la vente. Elles sont d’ailleurs délicieuses, sans traitement. Les ânes vont, chargés de grande luzerne, de bois, d'un tas de trucs, une femme trimballe une dizaine de bidons jusqu'à la source pour les remplir. Je me pose dans le premier hôtel sur ma route, dans un patelin minuscule où les habitants sont bien sympas. Dans l’établissement, je passe la soirée avec un couple franco-pays bas.
Ce matin comme prévu il pleut. Le ciel dégouline, très bas, froid. Il fait 15 degrés dans ma piaule. Les nouvelles d’Imilchil et Agoudal confirment les chutes de neige et à 1600 m où je suis, c'est parfois mélangé J’ai été tentée hier d’attendre là-haut plutôt que de descendre, pour voir les paysages enneigés, mais la perspective d’avoir ensuite à pédaler par température négative sur route enneigée et glissante avec le vent glacial de face m’a refroidie… Je vieillis…
Ce matin, après avoir pris le temps sous les couvertures, je suis descendue annoncer ma nuit supplémentaire. Les employés, un couple adorable à l'indécrochable banane sur le visage, étaient en train de petit-déjeuner, j’ai été conviée à me joindre à eux. Je suis la seule cliente entre ces murs glacés dans ce monumental hall ouvert en faïence qui résonne sur deux étages. Le couple d’hier soir est déjà parti. Les minibus bondés passent, un véhicule toutes les 20 minutes sur cette nationale. Je n'ai rien à faire de particulier, de minuscules travaux de couture ont été faits hier, alors je communique comme je peux avec les employés en regardant tomber la pluie froide et serrée, et en bougeant les orteils pour ne pas choper froid, j’apprends quelques mots de langue berbère, neige, pluie, froid... Ahmed m’a amené une couverture. Je suis dans le hall pour choper le Wi-Fi. 3 heures pour charger les 7 photos de cet article. Ils ont sorti les bouteilles de gaz vides sur le bord de la route, c’est donc le jour de la livraison, le camion va passer, et remplacer partout les vides par des pleines. Les chauffeurs qui descendent annoncent 20 cm à Imilchil et à 1600 m, les bonnes giboulées se succèdent à bon train, ça couvre. Leurs conditions de vie, la vache, un matelas posé par terre entre 4 murs en terre, pieds nus dans leurs sandales. Un chauffeur me dit m’avoir vu passer hier à Imilchil. Ambiance particulière. L'hôtel se remplit, les motards s'arrêtent...
Mon itinéraire pour remonter depuis le désert est en partie dicté par le trafic. Je savais que cette nationale est très peu passante par rapport aux autres. Ici, la circulation est vraiment très éparse, le revêtement et les paysages sont beaux. Le Maroc, ce que j’en ai vu jusqu’à maintenant, fait à mon humble avis partie des pays les plus sûrs du monde pour circuler à vélo. Et de plus, pas loin d’un conducteur autochtone sur deux me fait des appels, un petit coup de klaxon, un pouce en l’air, un signe de la main ou tout autre signe amical.
J’ai discuté autour d’un thé hier avec un jeune couple italo-espagnol qui voyageait à mobylettes avec une caisse plastique sur le porte-bagages. Ils se noient dans le décor. C’est marrant, l’idée m’avait effleuré l’esprit deux jours avant…
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Maroc, Djebel Sarhro, désert et dessert...
Tinghir.
Après un jour de repos complet pour cause de mauvais temps, je pars par un matin qui ne m’offre qu’un ciel gris, terne, humide et frais. Tout pour donner envie ! À peine sortie de la ville je prends la première averse, pas trop méchante. Je ne fais que monter et le vent de face n’aide pas les jambes à tourner. Premier col à 1750 m, descente, faux plat montant en ligne droite interminable, vent de face. Je m’arrête vers un village pour grailler un morceau mais la meute de gamins pas forcément bien intentionnés qui s’abat sur moi finit par me faire dégager. Au village suivant, c’est le marché, la rue est encombrée, les gens en col roulé et doudoune. J’en repars le ventre plein avec un col à 2280 m à passer, dans les nuages froids et humides. Quand je bascule de l’autre côté, la température se fait plus clémente et je me pose comme prévu à l’auberge de Mohamed, qui m’octroie une piaule avec une paillasse posée au sol. Le soleil ne s’étant pas montré, la douche est froide. Mais je suis bien là. 5 mécanos sympathiques s’échinent à remettre en ordre de marche un tractopelle récalcitrant.
Le lendemain malgré une météo maussade annoncée, je pars en rando, motivée, pour une boucle de 23 km au coeur du Djebel Sarhro. Malheureusement, après une heure de marche, la pluie s’invite, aucun intérêt, et puis je sais avec quelle soudaineté les rivières peuvent devenir dangereuses, je fais demi-tour. Bien sûr, une heure plus tard le soleil donne, mais à 14 h 30 la pluie fait son retour, plus forte, et le ciel est bien moche, le plafond si bas qu’on se trouve au grenier ! Sieste, qui me fera un bien fou.
Le sud du Maroc a été particulièrement arrosé cet automne, avec des victimes humaines et de gros dégâts sur les infrastructures routières mais aussi sur les maisons, les villages. Le lac Iriqui tout au sud était sec depuis 50 ans, il est plein, il déborde, la flore et la faune sont réapparues, les oueds coulent. On pourrait s'en réjouir, mais dans certaines zones, les jardins trop près des oueds ont été complètement recouverts de limons, détruisant toute la production. Il faut recommencer, labours… Le terrain n’est pas fait pour absorber. Il faut se méfier partout, veiller à ne jamais se trouver dans un endroit encaissé s’il risque de pleuvoir en amont, ne dormir que dans des endroits sûrs, ne pas s'engager à vélo dans des gorges si la pluie est annoncée sans être certaine de pouvoir en sortir. En rando, les sentiers suivent souvent les oueds, qui n’avaient pas vu d’eau depuis longtemps, bref, il faut se gaffer. Des chibanis de 80 ans n’ont pas vu ça de toute leur vie…
Pour moi, ces trois jours bien maussades ont fait du repos, et comme chaque fois qu’il y a une baisse de régime, du mauvais temps, bref une coupure dans la dynamique, la fatigue me tombe dessus.
Le jour suivant, je me lève cependant en pleine forme, la fatigue s’est envolée et je m’élance pour ma grande journée de rando dans le Djebel Sarhro. Je commence accompagnée par un ancien au regard malicieux qui me quitte au hameau d’Afourar, en me remerciant de lui avoir prêté mes bâtons pour la montée. Il était trop fier ! Toute la journée je me crois dans Monument Valley, en plus petit quand même, et je rentre enchantée de ma virée. Ça valait le coup d’attendre de bonnes conditions. Dans les creux irrigués, les jardins sont verts, les Berbères s’activent à la charrue derrière les chevaux. Les travaux des champs ne sont pas mécanisés du tout, et d’ailleurs ces hameaux ne sont accessibles qu’à pied ou à pattes. Les habitants sont prévenants, comme d’habitude.
Le jour qui suit, je roule, le paysage n’a rien d’extrordinaire. Des lignes droites, des faux plats. Les palmeraies de la vallée du Draa me paraissent en piteux état et les gosses deviennent de plus en plus chiants, le mot est faible. Ils font la chaîne au milieu de la route pour m'obliger à stopper, mais si je stoppe, ils se ruent sur les bagages et touchent à tout, je fonce. Quelques jets de pierres et des “fuck you”. Les Kasbahs que je croise sont soit délabrées soit retapées en hébergement de luxe et dans ces villages où les maisons ressemblent plus à des ruines qu’à des toits abritant des familles, seules les mosquées tiennent debout, belles, colorées, voire en construction. Il y a des priorités… Les adultes sont sympas toujours, bienveillants et prévenants.
Je décide ensuite de poursuivre vers le sud, ce sera un aller-retour mais je vais aller aux portes du désert, histoire de ne pas avoir de regrets, et puis j’ai du temps... C'est là que je croise le premier cyclo du voyage, ainsi qu’un dromadaire à l’arrière d’un pick-up ! J’ai changé de Maroc, il me semble qu’il est plus arabe que berbère et d’ailleurs ici, “merci” se dit “choucrane”, donc arabe. Les djellabahs sont blanches immaculées. J’ai trouvé cet aller-retour sans grand intérêt. J’ai fait demi-tour au dernier petit col avant M’Hamid el Ghizlane, qui quoi qu’il en soit marque la fin de la route. La frontière algérienne, hermétique depuis des années, n’est pas très distante, et à Tagounite, il y a un bataillon militaire à demeure pour la surveillance de cette frontière. Elle a cependant été ouverte 2 fois cette année, pour rapatrier des otages, c’est tout.
Revenue à Zagora, je me pose une nuit dans un camping très réputé et donc rempli d’énormes 4x4 et de monstrueux camping-cars. Je me dirige naturellement vers mes voisins, Karen et Jérôme, les seuls à avoir un petit van, et passerai une excellente soirée avec eux où j’ai dû abuser chouillas chouillas d’alcool et de tabac !
Le lendemain je continue la route dans un paysage d’abord très désertique, puis bordé de petits reliefs et villages sympathiques. Les jambes tournent bien, le vent est plutôt aidant, ça me va bien. Cet état de fait durera 4 jours pleins, je passe parfois un petit cordon de montagnes, un petit col, et me rapproche peu à peu des contreforts de l’Atlas qu’il faudra que je traverse à nouveau. C’est grand, le regard porte loin,ce n’est pas trop monotone pour autant. Je laisse de grandes traces blanches chaque jour dans le short et le maillot même si la chaleur devient plus supportable au fil du temps. Le macadam est parfois bien granuleux et la route bosselée, je bouffe du pneu arrière mais pas de plaquettes de freins, et j’aimerais bien aller au bout sans avoir à changer ni l’un ni les autres.
Ce sont les vacances scolaires, je vois des Marocains en vacances, qui visitent leur pays.
Je passe ainsi Tazzarine et Alnif. J’aime beaucoup l’ambiance de cette dernière. Petite bourgade décontractée où les gens m’accostent par curiosité, de manière très sympathique. La palmeraie et les jardins en direction de Tinejdad y sont superbes. Un patchwork de cultures de légumes divers et variés sous les palmiers, en damiers, et des canaux qui permettent la vie… Les systèmes d’irrigation dans les vallées cultivées sont magnifiques, très fonctionnels et d’une importance capitale. Je vois également pas mal de puits équipés de pompes, et qui distribuent ensuite l'eau, justement dans les canaux. Les gens s'activent, les jardins regorgent de femmes et d’hommes en habits colorés qui souvent font signe à mon passage. Depuis Zagora, les mômes sont soudain devenus des anges, polis, et qui ne barrent pas la route, ne me réclament rien qu’une réponse à leurs grands signes et “bonjour missieu”. Avec un tel accueil, je n’ai aucun scrupule à faire du camping sauvage même si je prends soin, toujours, d’être très discrète. Pas envie de me faire déloger encore par les gens en uniforme. Et d’ailleurs une fin d’après-midi, trop contente d’avoir trouvé un coin bien sympathique, je constate avec horreur que j’ai ramassé les piquants carré-bossus à plusieurs pointes des plantes du désert par centaines sur mes pneus ! Une heure trente pour les extraire méticuleusement un par un à l’opinel… Mais au moment de me coucher, je vois mon pneu arrière à plat. Le renfort de mes pneus n’a donc pas suffit. Du boulot en perspective au réveil, je me rends compte que je n’ai que 6 rustines… J’échafaude tous les plans possibles et dors tout de même.
Mon cadre de vélo est ainsi fait qu’il est plus vite fait de tomber la chaîne pour sortir la roue arrière, par l’arrière… Quelle belle initiative d’avoir fait l’acquisition 2 jours avant de partir d’une pince pour démonter les attaches rapides ! Démonter les roues et pendre le cadre à une branche horizontale (Abdulillah il y a ça là où je suis) avec mes tendeurs pour ne pas foutre du sable partout dans la transmission, marquer la correspondance pneu/chambre. Mettre de l'eau (Abdulillah, il m’en reste suffisamment) dans ma gamelle, constater deux petits trous (ouf seulement), et trouver une épine restée dans le pneu (d’où l’importance de marquer la correspondance). Faire tout l’intérieur des pneus au toucher, doucement, avec toute l’attention possible, réparer, en profiter pour intervertir mes pneus avant/arrière car celui de derrière donne des sérieux signes de fatigue, remonter, me laver les pognes bien noires dans le sable et croiser les doigts pour la suite… Trois heures de boulot, avec ordre et méthode.
Dans la ville suivante, Tinejdad, racheter des rustines. C’est facile, les gens se déplacent beaucoup à deux roues, il y a des petits ateliers partout, me voici parée. Tinejdad, que des gens sympas encore, puis Goulmima. La gendarmerie ne me demande plus mon.passeport quand elle est postée sur le bord de la route. Les paysages de palmeraies et de jardins verdoyants avec pour arrière-plan l’Atlas où les cumulus m’amènent à réfléchir sont de toute beauté. Forts contrastes. Goulmima regorge de kasbahs, jolie bourgade. Ensuite, je retrouve du désert jusqu’à Tadirghoust. Les cumulus maintenant bien noirs émettent des grondements sourds. Il faut que je me pose, mais à Tadirghoust, pas d’hôtel pas cher, juste 2 établissements tenus l’un et l’autre par des Françaises. Le mécano chez lequel je stoppe appelle Mohamed qui parle français et rapplique, qui me met en relation avec Martine, qui a fondé un Riad ici. Partie d’une ruine, elle a tout rasé, gardé la terre et refait tous les murs en terre/paille. Le lieu est luxueux, enduits chaux aux couleurs chaudes au milieu d’un beau jardin, piscine qui sert de déco… 10 ans qu'elle est là, dont 4 ans de travaux, 5 chambres, et des chiens qui n’ont pas leur langue dans leur poche. Décoration intérieure soignée, avec beaucoup de goût. Littérature française dans les étagères. Vu le ciel, vu ma manière de voyager, vu le tarif normal des chambres, vu le remplissage de la maison ce soir, bref, Martine m’offre le gîte et le couvert. J’en profite pour faire une lessive machine, la première du voyage, et mon compteur vélo, resté dans la poche de mon short, ressort vivant… et propre ! Abdulillah ! Il a plu, et le ciel est resté trop noir sur les montagnes, et les nuages ont avalé la lumière des lieux.
Voilà où j’en suis, il y aurait tant et tant à raconter. À partir de demain, je retraverse l’Atlas, trois jours sans pluie annoncés, il faut que j’en profite. Mes étapes journalières sont assez courtes, j’essaie de ne pas dépasser 75 à 80 km, sachant que c’était plat et que j’ai eu du vent léger mais favorable, je me ménage, j’ai du temps.
À la prochaine !
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Maroc, de la Vallée Heureuse à Tinghir
Nous sommes partis de chez Hassan à Imelghaz par un petit matin un peu nuageux, et avons descendu la Vallée Heureuse. Après seulement 26 km, à Aït Bou Oulli, un café fait l’objet d’une pause thé, et pendant ce temps un orage carabiné, de pluie et de grêle, noie la vallée. Les prévisions ne sont pas engageantes, nous trouvons un gîte. Un bruit se fait entendre, le temps de sauter à la fenêtre et nous voyons une vague de boue faire monter le niveau de la rivière de plus de deux mètres en deux secondes ! Le lendemain nous poursuivons, par monts et par vaux en croisant les doigts pour qu'aucune coulée de boue ne nous bloque la route, par des vallées vraiment hors des sentiers battus, avec beaucoup de pistes infectes et des pentes renversantes. Je laisse pas mal d’énergie à pousser le vélo dans la caillasse dans des rampes innommables. Nous installons ce soir-là le bivouac à un col pour être en sécurité en cas de pluie mais ce n’est pas du goût de la gendarmerie royale qui vient nous déloger alors que je quasi dormais. Nous voici embarqués jusqu’au village en contrebas où l’on nous propose un garage habité par un ancien, ses chats, et une odeur prenante de pommes en décomposition. Je ne suis pas d’accord et finalement nous remontons dans le véhicule et le chauffeur (un civil) nous emmène dormir dans sa maison en construction. Au moins sommes-nous tranquilles. Comme d’habitude, toutes les personnes, flics ou non, ont été absolument courtois et souriants.
Le lendemain, des rudes montées au programme encore, je laisse des litres de sueur dans la poussière des pistes ou sur le macadam. Nous rejoignons alors la grande route qui file à Ourzazate. Mais elle est totalement défoncée, heureusement ça descend, que dis-je, ça plonge. Nous sommes toujours au coeur de l'Atlas. Philippe casse un rayon à l’arrière, pause réparation et resto à Aït Tamlil. Un peu plus loin nous nous logeons en gîte au carrefour de la vallée de la Tessaout, dont on nous a vanté les mérites. Dans l’après-midi, je dégote sur une appli une route que je n’avais pas vue jusque-là et qui pourrait bien nous arranger. Il faut juste s’assurer que les orages récents n’ont pas rendu impraticables les quelques kilomètres que nous devrons faire en sandales dans le lit de la Tessaout.
Nous voici donc le lendemain dans cette vallée très typique et impressionnante. Nous faisons le détour pour aller visiter le village de Megdaz, doté de nombreux bâtiments massifs en pierres, bois et pisé. Philippe a les intestins en vrac, je soupçonne une giardiase, et dans l’après-midi, dans ce gîte chez l’habitant au bout d’une piste accrochée comme elle peut à la montagne, cul de sac, la boîte de médocs arrive sur la table. La logistique marocaine, la chaîne humaine s’est mise en branle, avec une efficacité incroyable. Les médocs sont arrivés de Demnate (80 km) dans une bagnole, dont le chauffeur a laissé la boîte à un type qui venait jusqu’au village à pied avec son âne chargé, 6 km. Voilà, c’est ça aussi le Maroc. Le total du transport a coûté 2,4 euros !!!
Le jour suivant, nous commençons donc les pieds dans l’eau sur 2 km, avant de retrouver rapidement le macadam. La vallée de laTessaout, hors des sentiers battus puisque les véhicules ne peuvent pas la suivre à cause de ces 2 bornes qui pour nous étaient faciles, est ponctuée de villages plus ou moins détruits. Nous nous demandons si le tremblement de terre il y a un an a impacté jusqu’ici. Une partie de la population loge sous des tentes qui ressemblent plus à du matériel d’urgence qu’à des tentes berbères. La mosquée est visiblement le premier édifice à être reconstruit. Avec les aléas climatiques actuels, et notamment les pluies torrentielles violentes, je crains que ces villages et maisons en terre aient bien des soucis dans le futur… Au terme de cette journée, nous basculons sur le versant sud de l’Atlas.
De la piste, de la piste encore pour le démarrage ce 11 octobre qui marque les 4 semaines depuis notre débarquement à Nador. Paysages différents, plateau désertique, puis constellé de villages dans une belle vallée cultivée avant de descendre complètement la somptueuse vallée des Roses. À l’heure de la prière, les chants des différents muezzins de la vallée se mêlent et résonnent entre les montagnes abruptes. Nous posons ce soir là nos sacoches à Kelaat M’Gounat, grande ville s’il en est. L’hôtel est central, un des moins cher de la ville, et nous convient bien. Philippe décide alors et m’annonce arrêter là son voyage, sans autre raison invoquée qu’une profonde démotivation, un manque d’envie de continuer.
Soit, je continuerai seule.
Le jour suivant je démarre donc seule, retrouve très vite mes petites habitudes et façons de faire… Mon itinéraire global est tracé, volontairement assez court, j’aurai bien loisir de rallonger si j’ai du temps en rab. Je pars par la vallée et les gorges du Dades. C’est un site touristique majeur, soit-disant incontournable et je m’attendais à beaucoup plus de bus, quads, 4x4 et motards que je n’en ai eus, autrement dit quasi rien. Les villages sont plus riches, les maisons plus solides et massives, et revêtues de crépis colorés, mais les gamins n’oublient pas de me courir après pour me demander “Missieu, missieu, donne moi un bonbon, donne moi un stylo, donne moi de l’argent”. Je dois parfois faire les gros yeux pour qu’ils me lâchent. Le macadam est bon, les échoppes bien fournies. D’ailleurs tout le long on trouve à vendre de l’eau de rose et de l’huile d’Argan. De gros complexes touristiques qui ressemblent à des citadelles en pisé, parfois avec piscine, dénotent derrière les femmes qui passent à pied, courbant l’échine sous leur fardeau de bois mort ramassé dans la nature. Deux mondes se côtoient et la différence de niveau de vie est criante. Les effets de la surfréquentation touristique sont souvent révoltants. Je pose mon bivouac à 2300 m, le long d’une route qui relie le Dades au Todhra, autre site touristique recensé.
Il me faut au petit matin suivant pousser le vélo sur 3 km, la route n’est pas terminée, tout est en travaux, les ouvriers me saluent et m’encouragent, les chauffeurs de camions et d’engins passent au pas pour ne pas m’asphyxier de poussière, avec leur prévenance habituelle et appréciée. La descente se fait debout sur les pédales, à 12 km/h, jusqu’à la fin des travaux. Puis c’est le vent de face qui m’oblige à pédaler dans la descente sous peine de remonter ! Une grosse omelette à Tamtattouchte me redonne un peu de jus, je me lance dans les gorges du Todhra, défilé rocheux de 20 km de long ou parfois les falaises se touchent presque au dessus de la route et de l’oued asséché. À partir de là, je vois autant de touristes que de locaux en visite, c’est dimanche, il y a du monde.
À la sortie des gorges, la gendarmerie royale est au bord de la route, j’en profite pour demander un hôtel pas cher à Tinghir, qui, je m’en rendrai compte rapidement une fois en ville, sont très nombreux (à partir de 4,5 euros). L’arrivée sur la ville par en haut est magnifique avec le regard qui s’étend sur tout l’oasis, qui compte tout de même plus de 80 000 habitants. Je dégote une piaule, 2 lits, avec fenêtre et petit balcon, douche et lavabo pour 8 euros. Seul bémol, elle donne sur la rue passante, bruyante.
Au centre de Tinghir, un jardin public sépare l’avenue d’une alignée de cafés restaurants aux tarifs dérisoires et aux assiettes plus que copieuses. Je m’y régale avant d’aller traîner dans l’ancien quartier juif et sur le marché où je fais le plein de vitamines. Puis je me rends compte que l'effervescence augmente au fil des heures sous ma fenêtre. Tinghir est en fête, c'est le souk, le gros ! Les nuages s’amoncellent, les orages sont annoncés dès ce soir et pour toute la journée du lendemain encore. Ce sera donc pour moi un jour de repos complet avant de continuer vers le sud et le désert.
Cela fait donc plus d'un mois que j'ai débarqué à Nador. Ce mois fut d'une richesse folle et tout ne fût que régal, ou presque. Maintenant seule, je vais tâcher de faire en sorte que le mois prochain m'apporte et me réjouisse autant. Ce sera différent bien sûr, le plaisir de la liberté retrouvée et de la fin des petites concessions remplacera celui de partager en live les impressions... Ainsi va la vie !
Plus de 50 photos ont été ajoutées dans la galerie, de quoi vous occuper un peu ! À une prochaine !
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