Premiers pas dans les Highlands
C'est de Corrour bothy que j'écris ces lignes, les premières pour le blog depuis mon départ. Un bothy, c'est une cabane en montagne, un refuge non gardé. Ici dans les Highlands, à partir de 600 m d'altitude, c'est la haute montagne. Il fait froid, le vent peut être violent, le brouillard à couper au couteau, bref, l'environnement hostile. La météo y est totalement incertaine, imprévisible. Mon bothy est minuscule, deux couchettes, quelques chaises, un banc scellé au mur. Je ne le sais pas encore mais nous serons 8 à dormir dans ce minuscule espace, et 4 dehors. Il fait froid, 13 degrés, mais la température montera avec l'arrivée des autres marcheurs. Dehors cela fait 2 heures qu'il pleut. Les sommets, culminant à 1200 m, sont tous tronqués à la même hauteur par les nuages épais et tenaces. J'ai marché 3h pour venir ici, remonter ce bout de vallée à travers la lande, la tourbière imbibée, les marais, sur un sentier boueux où il faut poser les pieds avec attention sur les points durs qui dépassent afin que les souliers ne se fassent pas engloutir par les mousses, les sphaignes, les trous d'eau ou la tourbe noire, dans une vallée très large ou une rivière assez paresseuse serpente. Ce paysage me rappelle tour à tour l'Alaska ou la Laponie Suédoise sans la neige. Les sommets alentours sont de gros monticules, pas vraiment escarpés, mais pas doux non plus, entre les deux, ni de la rando, ni de l'escalade, et pas même de la varappe. Personne.
Sortir des sentiers n'est guère imaginable, la tourbière, ou la callune, maintenant fanée. Je ne suis pas seule dans le bothy, il y a une souris, je la vois parfois passer, s'arrêter, continuer, vaquer à ses occupations. Hier soir j'étais dans un autre bothy, le premier depuis 11 jours, et il était grand, chauffé, occupé. J'ai pu y faire sécher une lessive.
À mon atterrissage à Édimbourg le 6, j'ai pris direct un bus pour Glasgow, puis un autre bus pour aller chez Margo, qui m'a chaleureusement accueillie. Le lendemain j'ai pris un train encore, pour traverser Glasgow. 40 minutes et 15 arrêts plus tard, je suis descendue, ai fait quelques courses, pris de l'essence pour mon réchaud et suis partie sur le sentier balisé du West Highland way, qui doit me mener jusqu'à Fort Williams, plus loin au nord. Sauf que les chemins tout droit tracés me sont monotones alors j'ai mis quelques détours et sommets à mon actif, je suis allée dormir au sommet du Ben Lomond, où j'ai cru crever de soif, et ai pu tester cette nuit-là la résistance au vent de ma tente, puis suis allée dormir au sommet du Ben Nevis par un soir étoilé et glacial. Seule dans l'abri d'urgence au milieu de la caillasse volcanique, les voisins ne m'ont pas dérangée, la nuit fut fraîche et la partie supérieure de la descente le lendemain dans le coton épais, m'obligeant à redescendre par le même chemin. Les premiers jours furent si "chauds" que les midges, ces moustiques invisibles, s'en sont donnés à cœur joie. Tu te rends compte qu'ils sont là quand tu as la tronche ou les mains, bref, la peau en feu. C'est assez terrible. On m'avait dit "septembre il n'y en aura moins", heureusement ! J'ai eu le visage déformé pendant 8 jours et ai fait une réaction allergique, me suis soignée, tout est ok. Entre-temps, j'ai trouvé du bon produit chimique au DEET qui fait presque fondre le plastique et une moustiquaire de tête, que je n'ai pas encore utilisée. Et puis trois tiques en cinq jours, ça commençait fort.. Les premiers jours toujours, j'ai blessé au niveau d'un pied, en porte encore les stigmates bien que la blessure soit refermée. Et les premiers jours toujours, je me suis faite doubler par un tas de vaillants et motivés randonneurs qui ignoraient avec dédain les monceaux de mûres sur le bord du chemin. Alors que je "perdais du temps" à m'en gaver ! Fort Williams, j'ai passé 6 h à la cafétéria d'un supermarché à côté de la gare, au chaud, au sec, à attendre un train, à recharger mes appareils électroniques, à becqueter, et me laver dans les toilettes publiques pendant que dehors il crachinait.
Train pour Corrour, une gare paumée au milieu de rien. Un endroit parfait pour le début d'un bon polar ou forcément le corps d'une femme est retrouvé dans les tourbières au dessus desquelles planent des brumes aussi humides que mystérieuses, voire austères. Corrour, juste un quai, même pas une salle d'attente dans laquelle passer la nuit. Une taverne ou les locaux, roux de préférence, viennent boire leurs pintes en fin de journée, en pick up 4 x 4. Pas de route ici, juste des pistes au milieu des tourbières. J'ai dû installer ma tente sous la flotte et dans le vent mais comme je monte l'extérieur en premier, l'intérieur reste sec et ça n'a pas de prix. Test de tenue au vent encore, et d'imperméabilité. J'ai dormi comme un loir et profité au matin d'une accalmie pour tout replier et partir. De Corrour j'ai rejoint Dalwhinnie en un jour et demi à pied, ai eu du beau temps et du vent fort dans le dos, ai beaucoup apprécié ce tronçon très sauvage où la sente a fini par se perdre dans la tourbe, n'ai croisé personne, et ai fait un bivouac magnifique dans un silence total. C'est assez rare pour être noté. À Dalwhinnie, j'ai loupé le train à 30 secondes, vraiment, malgré une course effrénée avec mes 15 kilos sur le dos, il est reparti alors que j'arrivais à la gare à bout de souffle. Alors j'ai tendu le pouce jusqu'à Blair
Athol, un village en pierre grise, avec une mini épicerie tenue par une black improbable là au milieu, et qui m'a fait penser à la fille aux yeux couleur menthe à l'eau d'Eddie Mitchell, allez savoir pourquoi… C'est reparti pour quelques jours de marche à travers les monts Grampians. De là j'ai trouvé des cabanes de berger ou des bothys qui furent les bienvenus pour les nuits froides et/ou arrosées, tous les soirs, c'était bien. J'ai traversé une partie des Cairngoms tantôt par les sommets quand la météo l'a permis, tantôt par les vallées en cas d'intempéries. J'ai évité les endroits touristiques, j'ai rencontré des locaux dans les bothys parfois spacieux, mais aussi où il a fallu parfois s'empiler comme des sardines en boîte. Difficile de laisser quelqu'un dehors par ces conditions, alors on se serre. Je suis arrivée à Aviemor après encore une journée longue, les pieds trempés, après 5 heures sous une pluie pas très dense mais continue, sans vent. Le sentier se transforme en ruisseau, l'eau dégueule de partout, dégringole des flancs de la montagne. Les rivières sont aussi rouge que si des peuples animistes y avaient fait des cérémonies sacrificielles. Même filtrée, l'eau reste rouille, elle n'est pas mauvaise pour autant.
Aviemor donc, le train s'apprêtait à partir pour Inverness quand j'ai débarqué avec mon poncho par dessus la gore tex et le pantalon de pluie, alors j'ai sauté dedans et me voici à Inverness. Ici l'eau est salée, et c'est l'extrémité du Caledonian canal, la rivière Ness, le loch et le monstre du même nom, ou quasi.
J'ai parcouru quelques courts tronçons en stop, la vie va tranquille et après cette première douzaine de jours, j'aurais tendance à résumer les Ecossais en trois mots " la force tranquille". Souvent costauds, très calmes, je ne voudrais cependant pas les voir énervés. J'ai vu quelques spécimens, masculins comme féminins, qui n'étaient pas seulement roux mais carrément flamboyants ! J'ai du mal à les comprendre, est ce vraiment de l'anglais ? Non, c'est un mélange avec du gaélique, le tout pimenté d'un bel accent qui me les rendent incompréhensibles sauf quand nous sommes en tête à tête et qu'ils sont un tantinet attentifs. Ceux à qui j'ai eu affaire se sont montrés attentionnés, généreux. Les pintes, le whisky, le rhum ne leur font pas peur, ils encaissent sans broncher.
C'est de Inverness en fait que je termine ce post et vous l'envoie, confortablement installée dans une auberge de jeunesse pour deux nuits. Je vais y refaire quelques forces et préparer la suite de mon périple, prendre une bonne douche, savourer un vrai lit et quelques repas cuisinés…
Les photos donnent l'impression d'un éternel beau temps… non non, ne vous méprenez pas, je ne sors pas mon appareil sous la flotte, c'est tout. Des images dans la galerie comme d'habitude.
Allez ciao ciao
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Après les Corses, l'Ecosse
Rentrée juste à temps pour les foins, je m'apprête à repartir maintenant que les regains sont terminés.
J'ai fait un bel été, au boulot, principalement dans les Alpes, massif du Mont Blanc. Il est toujours aussi imposant, ses aiguilles toujours aussi effilées, ses voies italiennes toujours aussi impressionnantes, rien qu'à les regarder depuis loin. Depuis 2016 que je n'étais retournée dans certains secteurs, j'ai pu constater avec effroi que le recul des glaciers s'effectue à une vitesse exponentielle. Je le savais évidemment, mais c'est encore pire que ce que j'avais imaginé.
Je vais m'en aller.
Dans trois jours.
Et oui je sais, c'est totalement paradoxal avec ce que je viens d'écrire, je vais m'envoler vers l'Ecosse pour une durée indéterminée. Je n'ai pas pris de retour, me laissant la liberté de rentrer quand j'en aurai marre de me faire rincer trois fois par jour, ou d'entendre jouer de la cornemuse, ou encore de chercher Nessie en vain. Je vais aller faire un tour du côté des lochs et des châteaux hantés, et surtout chercher du sauvage, du grand, du pas trop peuplé, du tranquille. Je ne pars pas à vélo, me contenterai d'un sac à dos avec ma vie dedans, espère marcher beaucoup, prendre le train peut-être un peu, et tendre le pouce pour le reste.
Les Highlands, Skye, les Hébrides, les Cairngorms, l'Affric Kintail Way, le West Highland Way... ce ne sont pas les sentiers qui manquent.
Equipée de vétements résistants à la pénétration de l'eau et du vent, et d'une bonne tente, je prendrai pied sur le tarmac d'Edimburg mercredi avant de filer en bus vers Glasgow dans la foulée. J'y suis attendue pour une première nuit. Et après... Inch'Allah ! J'ai encore pas mal de choses à préparer et à mettre en ordre avant de partir, il ne s'agit pas de mettre les deux pieds dans le même sabot ces trois prochains jours.
Une collègue et néanmoins amie montera me rejoindre pour une petite quinzaine de jours et l'idée m'enchante.
Après les Corses, voici donc l'Ecosse.
A bientôt
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