Arran, Islay, Gigha, Jura, Mull and co...


Des salves de pluie épaisse crépitaient sur le tarmac d’Edimbourg. Un peu comme quand j’en suis partie fin octobre. À me demander si entre-temps, il y a eu autre chose. Juste avant que le zinc ne pose ses roues sur la piste, j’ai pu voir entre chien et loup des champs inondés sous les nuages noirs. L’avion s’est posé avec presque deux heures de retard, après avoir subi maints contrôles suite à un impact sur le fuselage lors du précédent vol. Mais l’impact “rentrait” dans les tolérances pour voler, nous avions donc fini par décoller.

 

01037042 copy 1824x2736Arriver de nuit sous la flotte n’est pas ce qu'il y a de plus joyeux, ni encourageant. Mais j’ai au moins l’avantage d’avoir des repères. Je sais qu’il faut aller vite pour ne pas faire la queue une plombe au contrôle de l’immigration. Mon sac est arrivé vite sur le tapis et tout aussi vite je me suis dirigée vers l’arrêt de bus pour Glasgow. Ce dernier arrive dans les 10 minutes et ne traîne pas pour repartir. Pendant une heure encore je n’ai vu que des gerbes de flotte s'écraser contre les vitres et le pare-brise, aveuglée par les phares des véhicules en sens inverse sur la voie express. Par bonheur à Glasgow il ne pleut pas. Là aussi j’ai mes repères, connais la gare routière et file dare-dare vers l’auberge où j’ai tout anticipé en ligne. À 22 h 10 j’y entre, à 22 h 20 je suis couchée. 

 

Sam Bates, plus connu sous le nom de Smug, artiste contemporain d’origine australienne mais basé à Glasgow. Si j’ai décidé de consacrer une journée entière encore à cette ville, c’est parce qu’à l’automne, j’étais passée à côté de quelques unes des plus belles fresques murales, signées Smug justement. Couvrant des façades entières, elles sont si travaillées qu’on dirait des peintures à l’huile. Et je me suis régalée de cette journée… sans pluie, offrant même quelques rayons de soleil. 

 

Arran m’a vu débarquer le lendemain après une heure de train puis une heure de bateau. Pour l’arrivée du ferry et en guise de bienvenue, un magnifique arc-en-ciel allait d’un bout à l’autre de Brodick, principale ville de cette île qui compte 5500 habitants ( et 25 000 en saison touristique). Le plafond est à 200 m d’altitude, les sommets à 800 m, je choisis donc de rester en bas pour l’instant, traverse l’île dans la largeur jusqu’à Blackwaterfoot d’où je commence à marcher, le long de la côte, le long du golf puis de formations basaltiques, jusqu'à King’s caves (des grottes), puis aux pierres levées de Machrie. Et là, comme si je ne savais pas ce qu’est l’Écosse hors sentier, j’ai voulu couper dans la pampa. J’avais 500 mètres à faire pour rejoindre quelque chose. Eh bien non seulement il a fallu que je retourne d’où je venais mais en plus j’ai rempli mes godasses de flotte ! Belle opération ! Malgré les saucées du jour, j’étais sèche alors il faut croire que c’était dommage ! 

Revenue sur la route, un bus est passé dans ma direction, j’ai sauté dedans pour revenir en ville et tendre le pouce pour aller au sud. 

 

Au sud. Le Sud d’Arran est constitué de collines glabres tapissées de verts pâturages où broutent de plantureuses Highlands à grandes cornes. Il y a du vent. Je l’ai de face et ne suis pas mécontente quand enfin une auto s’arrête et m’emmène à ma destination du jour : Lagg. Connue pour sa distillerie, le village tient en quatre maisons, un hôtel, la salle des fêtes dont un recoin fait bar. Le camion pizza de l’île tourne dans les villages et les hameaux, un passage par mois, c’est aujourd’hui à Lagg et ça se passe à la salle des fêtes aussi, comme le culte. Pourquoi je vous parle de la salle des fêtes ? Parce que c’est là que j’ai dormi cette nuit-là. J’ai demandé un endroit à l’abri du vent pour planter ma tente, j’ai atterri dans la grande salle. Plutôt cool et je ne suis pas mécontente de cette animation à la cuisine et au bar car jusqu’à maintenant je n’ai vu que des nuques penchées sur des smartphones, les citadins de Glasgow ou les filles qui partageaient mon dortoir à l’auberge. Quelle tristesse ! J’ai dormi sur une table, mieux que par terre. J’ai fait le tour de l’île en stop, donc visite guidée, suis repassée à Brodick, suis montée à Sannox pour marcher le long de la côte jusqu'à Lochranza, ai gravi des sommets au dessus de Pirnmill avant de grimper sur le Goatfell, 874 m, point culminant de l’île et couvert de neige de ces dernières averses. La météo s’est montrée capricieuse sur Arran mais j’ai tiré mon épingle du jeu.

 

Puis j’ai repris le bateau. Pour rejoindre le Kintyre. 

 

C’est une péninsule toute en longueur qui fait partie de la “main land” mais on se croirait sur une île. J’y ai marché 2 jours de Tarbert, jolie petite bourgade, petit port mignon, jusqu’à l’embarcadère pour l’île de Gigha où j’ai marché 2 jours encore, ne manquant pour rien au monde le point culminant à 100 m tout rond. Population totale de l’île :150 habitants… 

Quelques pierres debout et vieilles croix en pierre sculptées.

 

J’ai repris le bateau dans l’autre sens. Puis un autre encore, avec un court transfert entre les deux.

 

Islay, autre île, plus grande. Les principales “ industries” de ces îles sont les distilleries, partout. Partout on y fabrique du whisky, mais d’où vient l’orge ? La tourbe pour le maltage ok, mais l'orge ? Je vois à travers les baies vitrées de ces usines à alcool des immenses alambics en cuivre. Marche dans les montagnes, marche le long des côtes, marche le long de plages magnifiques. La météo est conciliante, j’en profite. Des bivouacs somptueux dans des paysages grandioses, lumières qui explosent les pupilles, arches naturelles, grottes, oiseaux de mer, aigles, phoques, et des centaines de cerfs et de lapins. Mais pas un chat ni l’ombre d’un randonneur. Des vans et campings car oui, mais ils ne marchent guère, ils font des “road trip”. Je me délecte aussi des villages croquignolets lovés au fond de criques ou de baies aux eaux limpides sur sable blond, de phares blancs sur des îlots minuscules ou à l’extrémité de pitons rocheux. Mon séjour à Islay a été interrompu par trois jours sur l'île voisine.

 

Les bouteilles portent le même nom mais ne contiennent pas le même breuvage et n’ont pas la même “gueule” que les nôtres, il y a des montagnes, qui culminent à 800 mètres mais sont tout aussi rudes que les autres, il y a 175 habitants et pourtant l’île est grande. Une minuscule épicerie. L’île aux milliers de cerfs, plus de 10 000, des comptages ont lieu chaque année à cette période, sur demande du gouvernement. Un type impliqué m'a prise en stop, sur un carré de 5 x 5 km, l'an dernier, 1100 cerfs. Quand je vous dis que ça pullule ! Je n'en fais même plus de cas tant ils sont partout, dommage qu'ils fuient tout de même quand j'approche. Bref, j’ai nommé Jura. Des lacs très bleu sur fond de landes dorées, ou de tourbières noires. Jura, c’était une exploration obligatoire quand on sait d’où je viens. J’y ai marché 3 jours, suis allée dormir dans des lieux hors du temps, accessibles seulement après des heures de marche sur une éponge, pour arriver sur des sites néolithiques, des lieux qui furent habités, je me demande pourquoi et comment ce fut possible. Je suis allée au bout de Jura, enfin… presque ! L’avant dernière maison de l’île, tout au nord, est celle où Georges Orwell a écrit 1984. Il aurait fallu que je marche 10 km aller retour, pour voir quoi en fin de compte ? Quatre murs chaulés de blanc sur fond d'océan azur. J'ai renoncé. J’ai pris bien du plaisir sur l’autre Jura avec encore du beau temps. C’est relatif bien sûr et il faut choisir tout de même les meilleurs jours pour arpenter la montagne mais globalement, du soleil et du sec. Ce qui rend le terrain moins spongieux, moins imbibé. J'ai constaté que la plupart des gens ici savent situer le Jura, je veux dire le mien. Certains ont même avoué avoir déjà bu du vin et gardé la fameuse bouteille gravée. De retour sur Islay, j’ai complété ma visite de cette île par le nord de ce fer à cheval, ai visité des réserves naturelles et autant de lieux improbables, tous d’une beauté originelle impressionnante. La nature est brute, sans aménagement à part quelques pistes. 

 

Sur ces îles, quand je veux un transfert pour aller d'un point à un autre, je tends le pouce. Les locaux s’arrêtent, les touristes beaucoup moins, ils ont peur, les bandits sont partout dans ces endroits paumés, à tendre le pouce pour peut-être voler une bagnole qui n’ira quoi qu’il en soit, pas bien loin, jusqu’à un ponton... J’ai même fait du tracteur pour 4 km. Les voitures sont rares parfois mais elles s’arrêtent. Je n’attends jamais longtemps. Et si je suis sur un axe où circulent des bus, alors il suffit de faire signe au chauffeur, mais j’évite, c’est horriblement cher. Les routes sont la plupart du temps à voie unique, 3 mètres de large, on ne croise pas. Tous les 300 mètres se trouvent des places de croisement. Les locaux haïssent la saison touristique, les gens ne savent pas anticiper et c’est le foutoir, certains prennent les places de croisement pour des parkings... La conduite sur les “single lane” est tout un art, il ne faut pas être pressé. L’éloge de la lenteur.

 

J’ai repris le bateau pour rentrer sur Kintyre, et après un transfert jusqu’à Oban où j’ai consacré trois heures de visite à la ville, j’ai sauté sur un ferry pour venir sur Mull, où je me trouve actuellement. 

 

À noter que dans ce pays, partout dans les toilettes publiques, ou celles des salles d’attente de ferries, on trouve des protections hygiéniques, à disposition. 

 

Sur Mull, là aussi des distilleries, des moutons aux pattes et la tête noires, ébouriffés par le vent froid, des montagnes à gravir, des plages paradisiaques désertes (et c'est comme ça que je les aime) et des villages tout blancs ou au contraire très colorés. Après quelques jours bien remplis déjà sur Mull, je suis posée pour 2 nuits à l'auberge de jeunesse de Tobermory, le plus gros village de l’île. Il pleut, alors en attendant de rejoindre mon auberge à 17 heures, j’ai trouvé un endroit à l’abri, au chaud, équipé de prises de courant, de toilettes, douches, lave et sèche-linge. Sur le port. Les locaux m’avaient indiqué un endroit similaire sur Islay, où j’avais pu tout laver, mon linge et moi, bien pratique. Depuis Glasgow, je n’ai jamais dormi encore dans un lit. 

 

En tout cas, que ce soit sur des îles petites ou plus grandes, passées les dernières maisons d’un patelin minuscule, tout de suite le sentiment d’être dans du grand sauvage est bien présent. Dormir dans la nature, silence et ciels d’une pureté impressionnante. Pas de pollution, très peu d’avions. Du calme, de la lumière, des nuages et des herbes qui dansent au gré des vents, du froid, et pas de pont sur les torrents. Du sauvage là, tout près à côté. Autre chose que j’apprécie énormément dans ce pays : la possibilité de planter sa tente partout là où il n’y a pas nuisance. Pas besoin de chercher la discrétion. Et puis je ne sais pas si les faits divers malheureux existent ici, bref, c’est tout de même un pays très très tranquille qui a beaucoup à offrir.

 

Côté pratique, ça va, j'ai la pêche et dors comme un gros bébé, les yeux parfois fatigués de lumière. Les jours sont longs, il fait clair de 5 h 30 à 21 h 20. Mes chaussures, pour l’instant, me permettent de patauger dans les sphaignes et la tourbe sans avoir les pieds mouillés, quel panard ! J’avais hésité à partir soit avec des chaussures hautes donc lourdes et étanches au possible ou au contraire avec des petites, qui seraient toujours trempées mais qui sécheraient très vite. Les opportunités ont fait que j'ai des grosses, en test, et jusque là, je ne regrette vraiment pas. Il faut ça pour faire du mode sanglier, ou non, dans ces contrées sauvages et gorgées d'eau où chevilles, pieds et genoux sont largement mis à contribution. Je suis toujours aussi satisfaite de ma tente, comme de mon sac, mon matelas ou le reste. Mon sac n'est pas trop lourd, je me ravitaille au max tous les 4 jours. Je suis pas mal embêtée par les tiques, je marche pourtant couverte et pantalon dans les chaussettes mais malgré ça, j’en ai retiré de ma peau jusqu’à plus d’une dizaine par jour, parfois à des endroits que je ne peux voir et difficilement accessibles. Je surveille à mort. Côté températures, je n’ai jusque là guère quitté la polaire et la veste par dessus. Les températures nocturnes ne dépassent pas 5 degrés, j’ai eu du gel, et en journée, le vent froid dissuade de s’étaler sur les plages. Ça me va bien comme ça, je ne transpire pas beaucoup, et surtout, tant qu’il fait frais, il n’y a pas ces mûries de petits moustiques, les midges. 

 

Voilà, 19 jours déjà se sont envolés. Et si je ne donne des nouvelles que s’il pleut alors j’espère que vous attendrez un moment avant les prochaines.

 

Ciao